Le magazine System est sorti et avec lui, la longue interview "back to work" de Nicolas Ghesquière. Le morceau fait 18 pages. Autant vous dire qu'il est impossible de tout traduire, à moins d'être chevronnée, et même si je l'étais, je vous gâcherais le plaisir d'ouvrir le magazine puisque tout aurait été dévoilé. Le site Business Of Fashion a dactylographié un passage de l'interview, celui où Ghesquière parle de son malaise chez Balenciaga et de son avenir, et je vous l'ai traduit ci-dessous.
Lorsque la séparation fut annoncée en novembre dernier, je pensais que c'était Balenciaga qui s'était lassé du génie français, souhaitant un renouveau de la marque, avec une tête plus jeune et plus marketing, à savoir celle de l'américain Alexander Wang. Après avoir lu toute l'interview, on sent que c'est Ghesquière qui s'est dirigé lui même vers la porte de sortie...
Nicolas Ghesquière, photographié par Juergen Teller et interviewé par Jonathan Wingfield, pour System Magazine.
Quelle était votre vision pour Balenciaga ?
Pour moi, Balenciaga a une histoire aussi importante que celle de Chanel, même si elle est moins connue. Elle avait de la modernité, c'était contemporain, et je l'ai toujours positionné comme une petite Chanel ou Prada.
Mais qu'est ce qui fait que Chanel et Prada ont une plus grosse structure ?
Les personnes qui entourent les designers. Miuccia Prada a un extraordinaire partenaire, alors que moi je faisais tout tout seul.
Donc, sans les bonnes personnes, construire quelque chose d'aussi gros que Chanel ou Prada est inimaginable ?
Je ne sais pas si c'est possible, peut-être que le système va changer, mais ce qui est clair, c'est que ces marques ont une famille et des partenaires autour d'elles, et elles ont 'carte blanche' en terme de créativité. Prada, par exemple, a créé son propre modèle où tu peux être un business et une personne d'influence en même temps, ce qui est totalement admirable. C'est la même chose avec Chanel. Malheureusement, je n'ai jamais eu ça. Je n'ai jamais eu de partenaire et je finissais par me sentir trop seul. J'avais un studio incroyable et une équipe créative très proche de moi, mais cela commençait à devenir une bureaucratie et de plus en plus corporate, jusqu'à ce que cela ne soit plus associé à la mode. A la fin, j'avais l'impression qu'ils voulaient devenir une maison comme n'importe quelle autre.
Vous dites que cela vient d'un manque de dialogue ?
Que cela vient du fait qu'il n'y avait personne pour m'aider sur le plan business, par exemple.
Pouvez-vous être plus spécifique ?
Ils voulaient ouvrir plein de boutiques, mais dans de médiocres espaces, où les gens ne connaissaient même pas la marque. C'était une stratégie que je n'arrivais pas à comprendre. J'ai trouvé ce garage dans la rue Faubourg Saint Honoré, je suis entré en contact avec le propriétaire qui était un ami d'un ami, et nous avons commencé à parler... Et quand je suis retourné chez Balenciaga, la réaction était: "oh, non, non, non, pas le Faubourg Saint Honoré, tu n'es pas sérieux ?" Et j'ai dit que si, vraiment, que l'architecture était magnifique, que ce n'était pas une boutique classique. Et puis six mois se sont passés, six longs mois de négociations... c'était juste frustrant. Tout était comme ça.
Quand est ce que tu as senti que tes ambitions pour la maison n'étaient plus compatibles avec le management de Balenciaga ?
C'était tout le temps, mais surtout lors de ces deux ou trois dernières années, où ce n'était que frustration sur frustration. C'était vraiment ce manque de culture qui m'agaçait à la fin. Les pièces les plus fortes que nous faisions pour le catwalk étaient ignorées par les gens du business. Ils ont oublié que pour arriver à cette veste de motard facilement vendable, il a fallu qu'elle passe à travers une pièce techniquement maîtrisée montrée sur le catwalk. J'ai commencé à être déçu lorsque j'ai réalisé qu'il n'y avait plus d'estime, d'intérêt, ou de reconnaissance pour les recherches que je faisais. Ils ne se préoccupaient que du look final de la marchandise. Ce désire du "tout tout de suite" traduisait leur ignorance sur le fait que toutes les pièces populaires d'aujourd'hui sont issues des collections que nous avons fait il y a dix ans. Elles sont devenues des classiques et vont le rester. Bien que le défilé était extrêmement riche en idées et produits, cela ne se retrouvait pas dans le merchandising. Avec seulement une veste, nous aurions pu déclencher des stratégies commerciales entières. C'était ce que je voulais, mais je ne pouvais pas tout faire. Je passais du design des pièces pour les défilés au design des pièces pour les boutiques. Je suis devenu Mr. Merchandiser. Il n'y a jamais eu de poste de merchandiser chez Balenciaga, et je le regrette terriblement.
Tu n'en as jamais parlé aux dirigeants et demandé du soutien pour ce que tu voulais ?
Si, tout le temps ! Mais ils ne comprenaient pas. Plus que tout, tu as besoin de personnes qui comprennent la mode autour de toi. Il y a des personnes avec qui j'ai travaillé qui n'ont jamais compris comment la mode fonctionnait.
Comment y remédier ?
Tu dois avoir les bonnes personnes autour de toi. Des personnes qui adorent le domaine du luxe. Il doit y avoir une vision, mais aussi un partenaire, un duo, quelqu'un qui t'aide à surmonter tout ça. Je n'ai pas perdu espoir !
Quand vous avez commencé à vous sentir frustré, en avez-vous parlé à d'autres designers ?
Oui. Ce qui est intéressant à propos de ma séparation avec Balenciaga, c'est que cela en a encouragé plus d'un à venir me dire: "Moi aussi, je suis dans la même situation, je veux partir." Il y en a d'autres, mais ma situation chez Balenciaga était particulière.
Après l'annonce de votre départ, y a-t-il eu beaucoup de personnes du milieu de la mode à vous contacter ?
Je n'ai pas vraiment vu toutes les réactions sur le moment car j'étais au Japon à ce moment là. Un de mes meilleurs amis m'avait proposé un voyage spirituel à observer des personnes qui font de la laque traditionnelle et des ceintures en obi. C'était un environnement très privilégié avec des cérémonies de thé. A l'autre bout du monde, il y avait cette violente annonce de faite. Quand je suis rentré à Paris, j'ai vu la presse, et j'ai en fait appris des choses sur moi en lisant tous ces commentaires. C'était plutôt beau en fait. D'une manière générale, les réactions ont été très positives, même sur Twitter, il y avait des choses satisfaisantes d'écrites. En fin de compte, je me sentais bien car tout semblait très digne. Je ne m'étais pas exprimé jusqu'à maintenant, mais je voudrais remercié tout le monde, je vous suis très reconnaissant.
Qu'est ce qui est pour vous la chose la plus excitante en ce moment ?
Préparer le futur chapitre et avoir le temps d'observer ce qu'il se passe dans l'industrie. Les gens auraient pu m'associer à Balenciaga pour toujours. Nous avons vu clairement, lorsque la séparation a été annoncée, qu'il y avait un désire pour mon nom, donc je me suis dissocié de la maison. Cela aurait pu être un risque. Cela aurait pu être différent si Balenciaga se serait dissocié de moi, mais les gens m'ont vu développer ma signature et savent ce qui peut se passer. C'est excitant car, quoi que je fasse, les portes sont ouvertes, et cela c'est confirmé lorsque mon nom s'est libéré de Balenciaga. J'ai fait tant d'efforts et été un enfant obéissant en m'associant avec moi-même... Maintenant, je peux imaginer un nouveau vocabulaire. Je me régénère à nouveau, et c'est très excitant car c'est le sentiment que j'avais lorsque j'avais 20 ans.
Dans l'interview, Jonathan Wingfield a essayé d'avoir l'avis de Ghesquière sur la nouvelle collection de Balenciaga et Alexander Wang, le nouveau directeur artistique de la maison. Mais avec diplomatie et brio, Ghesquère est resté neutre sur le renouveau de Balenciaga, disant que finalement, cela ne l'intéressait pas de voir ce qu'il se passait là-bas.
Nicolas Ghesquière va revenir, comme le témoigne l'interview, mais nous ne savons pas comment. Sous son nom ? Sous une maison (ex: la place chez Mugler est libre) ? Il termine sa longue interview en disant qu'il reviendra sur le catwalk, soit à la fin de l'année, soit début 2014, et qu'il prépare l'annonce de son retour.
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