mardi 5 mars 2013

4 raisons d'avoir confiance en l'avenir de Saint Laurent avec Hedi Slimane

Collection F/W 2013

Pourquoi tout le monde semble désarçonné par la dernier collection d'Hedi Slimane pour Saint Laurent ? Pourquoi blâment-ils le fait que ça ne correspond pas à l'esthétique du fondateur Yves Saint Laurent ? L'équipe de Saint Laurent n'avait-il pas annoncé, dès le début, lorsqu'Hedi Slimane a été nommé directeur artistique, qu'ils souhaitaient un renouveau pour la marque ?? Hier soir, après que le défilé fut présenté au monde entier, l'armée internationale de faaashion blaawggeur made in Tumblr, ceux qui se prennent pour les Suzie Menkes et Anna Wintour du net alors qu'ils sont coincés dans leur lit derrière un écran, ont sévèrement critiqué la collection "Grunge Californien" d'Hedi Slimane, la jugeant égale aux collections d'Urban Outfitters et H&M alors que "c'est censé être du Yves Saint Laurent". Certains veulent même le départ de Slimane, comme si leur avis de non-client importait à la direction de la maison française. Lisent-ils les articles de presse sur Saint Laurent ou sur les stratégies des marques de luxe ? Ont-ils déjà lu des livres sur le marketing du luxe ? D'après leurs commentaires, remplis de réflexion hâtive, je ne pense pas. Voici quatres raisons pour dire qu'Hedi Slimane n'a pas fait de mauvaise collection, et qu'il rend justice à la nouvelle stratégie qu'ont adopté Pierre Bergé et PPR pour relancer la maison d'Yves Saint Laurent. 
  1. Yves/Hedi, une histoire qui date. Hedi Slimane a côtoyé le couturier Yves Saint Laurent car il a fait ses premières classes chez lui dans les années 90 en tant que directeur des collections Homme.  Lorsqu'Yves Saint Laurent a cédé sa ligne de prêt-à-porter au groupe Gucci, filliale de PPR, l'américain Tom Ford, alors chez Gucci, s'est imposé pour être le nouveau directeur artistique surperpuissant d'YSL. Il congédie Hedi Slimane (et Alber Elbaz qui était au prêt-à-porter Femme depuis deux ans) pour s'occuper de tout: création H/F, publicité, communication, marketing. Pierre Bergé et Yves Saint Laurent n'avaient pas beaucoup de sympathie pour l'américain qui a insufflé un vent de porno chic au prêt-à-porter YSL. De plus, Tom Ford, malgré son omniprésence dans la marque, restait dans l'ombre du couturier qui exerçait toujours pour la Couture. Tom Ford a quitté YSL en 2004, et même si ça n'a pas tellement marché avec la maison française, il a quand même marqué l'industrie du prêt-à-porter du luxe avec sa vision de directeur artistique poussée à l’extrême. A partir de là, Stefano Pilati l'a remplacé pendant 8 ans et ses collections respectaient les codes classiques d'YSL. Sauf, que ça n'est que depuis 2010 que la société YSL voit de bons chiffres d'affaires, et c'est majoritairement grâce aux accessoires et à la maroquinerie, pas tellement au prêt-à-porter. Pilati est congédié en 2012 et Slimane revient, au bonheur de Pierre Bergé.
  2. Stratégie de rupture. Hedi Slimane a pour but de relever les chiffres du prêt-à-porter et il a de bon atouts à faire valoir pour cela: sa maîtrise du vestiaire masculin dans un contexte de marché de l'homme en plein essor, sa cote chez les stars, son coup de crayon pour des vêtements portables. Il a aussi pour but de renforcer le désir pour la marque, attirer un large public. Dès son arrivée, il change le nom de la ligne "Yves Saint Laurent" en "Saint Laurent Paris", pour faire écho à la première ligne de prêt-à-porter lancée par le couturier en 1966 "Saint Laurent Rive Gauche". Le logo de Cassandre est remplacé par une écriture sobre. C'est le premier changement à l'initiative d'Hedi Slimane et il fait déjà polémique. Pourtant, enlever le prénom du créateur inscrit la collection dans une stratégie de marque. Yves Saint Laurent était couturier et nous parlons ici de prêt-à-porter de luxe, de sa marque de prêt-à-porter. On n'évoque plus la marque Christian Dior mais la marque Dior. De plus, Hedi Slimane n'est pas à son premier changement de nom de ligne. Il avait déjà remplacé Christian Dior Monsieur par Dior Homme au début des années 2000, et avouons-le, ça sonne tout de suite plus vendable. En tant que directeur artistique, Hedi Slimane a une liberté de créativité immense. Il avait annoncé que sa première collection serait un hommage au travail d'Yves Saint Laurent - ce qu'il a fait - et qu'il démarrerait sa vraie vision artistique pour Saint Laurent pour les collections hivernales de 2013.
  3. Agrandir la clientèle pour vendre plus. Un directeur artistique doit savoir créer dans l'optique de la maison qui l'emploie, plaire à la clientèle et vendre un maximum pour satisfaire les actionnaires qui ont investi dans la marque. La collection-défilé "Grunge Californien" est nettement dirigée vers une clientèle jeune, que veut toucher la marque. Pour être honnête  si j'étais riche, j'attendrai avec impatience la sortie de cette collection car de nombreuses pièces m'attirent. Mais qu'en est-il de la clientèle Saint Laurent, la CSP+++, chic et mature ? Se reconnaît-elle dans cette collection ? Cela n'a pas d'importance, car la clientèle Saint Laurent sait que la collection qui sera en boutique sera adaptée à ses goûts et désirs: des décolletés moins plongeants, des robes plus longues, moins de transparences, etc. La collection-défilé n'est qu'une vitrine pour la marque. Ce sont les collections Pre-Fall ou Resort qui font l'essentiel du chiffre d'affaire, et si vous vous y intéressez de plus près, vous verrez qu'elles sont beaucoup plus sobres et portables que les collections présentées en défilé. Qui regardent les défilés en direct grâce aux technologies d'internet ? Qui scrutent les photos des défilés pendant la Fashion Week ? C'est nous, les 15-25 ans, et nous préférons tous regarder des défilés qui dévoilent des habits que nous pourrions potentiellement porter que des défilés abordant des coupes de vêtement que nos mères adoreraient. Cela ne veut pas dire que toute la collection est à revoir. Il faut tout de même garder un intérêt dans le défilé. Les pièces fortes de la collections-défilé seront présentées dans les magazines et dans les vitrines des magasins, mais tout ne sera pas montré tel quel en boutique. John Galliano était le pro des défilés spectaculaires, sauf que dans les boutiques ou dans les showrooms, les collections avaient une toute autre allure... En tant que directeur artistique, Hedi Slimane peut concevoir ce qu'il veut pour le défilé, c'est sa vision qui prime et comme il aime l’androgénie, le rock et le design des vêtements "de tous les jours", c'était utopique d'attendre de sa part quelque chose de chic-bourgeois-coincé comme on aime le voir dans le luxe sous prétexte que c'est "luxe". Après le défilé, il y a un autre travail en studio qui s'opère qui est de réajuster la collection au goût de la clientèle tout en gardant le thème du défilé.
  4. Buzz profitable. Un défilé qui intrigue passera toujours moins inaperçu qu'un défilé qui n'aura pris aucun risque, même si la collection est plus maladroite, voire mauvaise. La presse parlera, quoi qu'il arrive, en bien de la marque, surtout si elle incarne le prestige de la mode française. Pas de commentaires positives de la part de la presse ? Résultat: mauvaise image pour la marque, perte de chiffre d'affaire, financiers pas contents, boycotte de la marque sur le magazine, pas d'achat publicitaire, magazine sans revenu, magazine qui coule. Bienvenue dans le monde impitoyable de la presse. Et de ses relations très étroites avec les marques. La presse profite autant à la marque que la marque profite à la presse. Et si la marque donne de quoi parler à la presse, c'est encore plus facile pour cette dernière d'écrire un papier dessus.

La maison Saint Laurent veut s'imposer financièrement à l'instar de Dior et Chanel. Pour ça, il faut revoir la stratégie. Hedi Slimane, qui a un vrai oeil de directeur artistique, a été choisi pour donner un nouveau souffle à l'image de la marque afin de rendre attractif Saint Laurent à un plus grand nombre, et d’accroître le chiffre d'affaire. Les acheteuses savent qu'Hedi est un créateur reconnu et qu'il a marqué la mode avec Dior Homme. Avoir ses pièces ne peut être que positif. Son premier défilé (S/S13) a été le deuxième défilé le plus vu sur Style.com entre Chanel (1er) et Dior (3eme). C'est la première fois que Saint Laurent est dans le top 10.  Avez-vous remarqué toutes les parutions que la collection Saint Laurent a eu dans la presse ces derniers temps ? En plus de s'être imposé dans la presse, et donc dans les esprits, Saint Laurent semble afficher un chiffre d'affaire déjà prometteur pour le prêt-à-porter. Il y aura toujours des smoking et des tailleurs en boutique, sauf que ce n'est pas nécessaire de le montrer en défilé, d'après Hedi Slimane, et cela ne s'inscrit pas non plus dans la stratégie de renouvellement de la marque. Il parait qu'il faut trois saisons aux financiers pour juger de la rentabilité du nouveau directeur artistique. Pourquoi licencier Hedi Slimane lorsque l'avenir s'annonce déjà fructueux au bout d'une saison pour Saint Laurent ?

5 commentaires:

  1. Article tres interessant. On apprend plein de choses et c'est tres bien ecrit !

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  2. J'adore ton article, tu as vraiment un talent pour écrire et exprimer ton point de vue.
    Merci d'avoir fait le résumé de tous les changements chez Yves Saint Laurent car j'étais complètement perdue ahah
    Depuis que Slimane est chez Saint Laurent, j'aime vraiment beaucoup les collection, comme tu le dis moi aussi je me verrais bien acheter quelques pièces (si seulement j'avais le budget !).
    Il faudrait que les "fashion bloggueurs" de tumblr lise ton article, ils apprendraient beaucoup je pense :)

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  3. Cet article est vraiment intéressant, j'aime beaucoup ton point de vue et la manière dont tu exposes le sujet ! J'ai aussi beaucoup aimé cette collection Saint Laurent. Et je suis tout à fait d'accord quant au "bloggueurs" qui donnent leurs avis sans savoir de quoi ils parlent réellement.
    Ça fait plaisir de lire des articles tel que celui-ci, merci :)

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  4. Il faudrait un peu pondérer l'article et être un peu moins condescendante avec les blogueurs, tous ne sont pas à mettre dans le même sac. Bien écrit, argumenté mais tous peuvent être contestés.
    Un directeur artistique doit quand même conserver l'ADN d'une marque. Or ici, on retrouve la marotte de Hedi Slimane l'androgyne. La femme Saint-Laurent qu'elle soit Yves ou pas reste une femme profondément féminine qui a su ajouter dans son vestiaire des pièces plus masculines qu'elle sublime.
    Ensuite, le point sur les acheteuses est intéressante. Le problème reste entier car on en arrive à des contradictions si on suit votre raisonnement. La communication - le défilé - met l'accent sur une marque qui dorénavant s'adresse à une clientèle pus jeune et on présenterait en boutique des pièces pour les plus âgées. Or, dans un défilé il n'y a pas que les célébrités, les journalistes et blogueurs, il y a aussi les acheteurs. Il faut savoir donner envie, c'est pour ça que les acheteuses sont invitées au défilé. On reste encore au niveau de la stratégie et on balbutie.
    les parutions dans la presse correspondent à la collection hommage et non encore à celle présentée ce week-end. Avant d'émettre une quelconque conclusion sur les retours presse, il faudrait voir comment celle-ci est appréhendée et ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Et aussi il faudrait que la maison entende les critiques, cela reste une autre histoire.

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    1. J'ai écrit cet article à chaud, en réponse aux critiques que je ne trouvais pas justifiées de certains bloggers issus de Tumblr. Je n'ai peut-être pas assez pris le temps de la réflexion, ni le temps d'en écrire davantage pour mieux ancrer mon point vue, alors je le fais maintenant en réponse à ton commentaire:

      Mettre tous les bloggers dans le même sac serait très prétentieux de ma part puisque ça voudrait dire que moi seule détiendrait les connaissances en la matière, or c'est bien sûr mieux. Je ciblais cette catégorie de bloggers très expressifs sur Tumblr, ceux qui ont pour dieux Raf/Rick/Rei/Miuccia, et qui dès les trois premiers looks du défilé, ont craché leur venin sur Hedi à travers leur blog. Cela peut paraitre très flou pour ceux qui ne sont pas sur Tumblr, où qui y sont mais ne suivent pas ce genre de bloggers... je dois l'admettre.
      Je suis d'accord, un directeur artistique doit conserver l'ADN de la marque sinon il ouvre sa propre ligne et il créé sa propre histoire. Cependant, certains DA exploitent plus que d'autres les codes d'une maison. Même si la femme Saint Laurent d'Hedi continue de sublimer des pièces masculines dans une allure très féminine, la vision générale de la collection d'Hedi reste moins classique et proche des codes d'YSL que celle de Stefano Pilati. Hedi conserve l'ADN mais établit tout de même une rupture avec ce qu'il se faisait avant lui.
      Dans mon article, j'ai omis de parler de l'équipe commerciale, qui après le défilé, prend note des avis des clientes sur la nouvelle collection et les transfert à l'équipe studio. Je suppose qu'à ce moment là, les clientes disent ce qu'elles ont aimé ou non dans la collection et si par miracle, elles ont toutes tout aimé, l'équipe studio n'a pas (plus) de raison de modifier les pièces, sauf que ce scénario n'arrive jamais. Leur présence reste donc indispensable dans les rangs du défilé. J'aurais dû plus insister sur ces clientes...
      Je parlais des retours presse de la collection hommage, qui a bien été reçue par la presse. Mais en toute honnêteté, et peut-être que mon article l'a sous-entendu, la collection FW13 sera sans doute, elle aussi, bien reçue dans la presse car le poids des financiers prime souvent sur la ligne éditoriale des journaux/magazines car il y a indirectement de l'argent en jeu avec l'achat d'espace publicitaire.

      J'espère avoir été plus claire. Je te remercie pour ce commentaire plein de bonnes réflexions. Il était intéressant car tu as pointé du doigt les problématiques peu claires de l'article et un débat en est quelque sorte ressorti, ce qui n'a qui fait qu'enrichir le propos !

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